Bactériophages ARN-f spécifiques & Coliphages somatiques : deux virus au coeur de la lutte contre le SARS-CoV-2 dans les boues et les eaux usées

Florence Gosselin, Responsable marché Microbiologie, Eurofins Expertise Microbiologique France

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a été saisie en mai dernier par le Ministère de la Transition écologique, afin d’apporter son appui scientifique et technique dans la lutte contre le SARS-CoV-2 (virus à l’origine de la Covid-19). Celle-ci a été chargée d’évaluer l’intérêt de deux virus, à savoir les bactériophages ARN-f spécifiques et les coliphages somatiques, dans le suivi de l’abattement du SARS-CoV-2 dans les eaux usées et les boues¹.

Deux protocoles ont ainsi été élaborés par l’Université de Lorraine, le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et la Fédération professionnelles des entreprises de l’eau (FP2PE) pour :

• Etudier la cinétique d’abattement des deux virus en fonction du temps et de la température à partir d’un seul échantillon d’une station de traitement des eaux usées de la ville de Reims;
• Suivre l’abattement des virus indicateurs pour différentes typologies de stockage des boues (environ 40 collectivités et/ou exploitants).

L’idée est, à terme, de permettre aux collectivités et aux exploitants de pouvoir suivre l’abattement du SARS-CoV-2 de manière indirecte dans les stations de traitements des eaux usées ne faisant pas d’hygiénisation de leurs boues avant épandage.

Parmi les 22 laboratoires questionnés sur leur capacité à réaliser les analyses demandées, Eurofins Expertise Microbiologique France a répondu présent. Nous participons activement à ce projet en analysant grâce à ces protocoles les bactériophages ARN-f spécifiques et les coliphages somatiques, aussi bien sur les boues que dans les eaux usées.

Quels contrôles sont réalisés dans les stations de traitement sur les boues pour épandage en dehors du contexte de la Covid-19 ?

Actuellement, l’épandage des boues est encadré par l’arrêté du 8 janvier 1998². Cet arrêté demande le suivi microbiologique suivant :

• Lors de la mise en service de l'unité de traitement, des analyses initiales en sortie de la filière de traitement doivent démontrer son caractère hygiénisant. Les concentrations suivantes sont à respecter :
  • Salmonella < 8 NPP/10 g matière sèche (MS) ;
  • Entérovirus < 3 NPPUC/10 g MS ;
  • Oeufs d'helminthes pathogènes viables < 3/10 g MS.
• Une analyse des coliformes thermotolérants sera effectuée au moment de la caractérisation du process décrite ci-dessus.

Par la suite, les traitements d'hygiénisation font l'objet d'une surveillance se traduisant par la recherche et le dénombrement des coliformes thermotolérants, à une fréquence d'au moins une analyse tous les quinze jours durant la période d'épandage.

Pourquoi choisir ces deux indicateurs viraux ?

Les bactériophages ARN-spécifiques et les coliphages somatiques sont des « indicateurs pertinents pour évaluer l’efficacité des traitements appliqués à des eaux résiduaires ou à des boues »¹ car :

• Ils sont déjà utilisés comme indicateurs viraux de traitement

L’arrêté du 2 août 2010³ encadre l’utilisation des eaux usées traitées par les stations d’épuration des eaux usées (STEU) pour un usage d’irrigation, à condition notamment que l’abattement entre l’entrée et la sortie de la STEU pour les bactériophages ARN-f spécifiques soit satisfaisant.

Bien que les coliphages somatiques ne soient pas utilisés dans ce contexte, ils apportent une information complémentaire aux bactériophages ARN-f spécifiques. En effet étant plus nombreux (1 à 2 logs de plus), ils seront donc plus faciles à retrouver dans un échantillon faiblement contaminé.

• Ils sont plus résistants que le SARS-CoV-2

Le SARS-CoV-2 fait partie de la famille des Coronaviridae et est classé dans le sous-genre Sarbecovirus⁴. Les coronavirus (CoV) sont des virus enveloppés avec un génome à ARN simple brin de polarité positive. Les virus enveloppés sont en général moins résistants dans l’environnement que les virus non enveloppés (nus), comme par exemple les entérovirus, les bactériophages ARN-f spécifiques ou les coliphages somatiques⁵.

• Ils permettent d’évaluer l’infectiosité du virus

Les méthodes utilisées pour le dénombrement des bactériophages ARN-f spécifiques et des coliphages somatiques sont des méthodes de culture. Elles permettent donc d’évaluer également leur infectiosité. Cependant, il n’y aura pas de lien entre l’infectiosité de ces deux virus et celui du SARS-CoV-2.

• Coût et délais de résultats

L’idée du projet étant de sélectionner des indicateurs viraux pour la réalisation de contrôles réguliers, les bactériophages ARN-spécifiques et les coliphages somatiques seraient des cibles de choix car :

• Ils sont moins coûteux à analyser que les entérovirus (paramètre actuellement analysé dans le cadre de l’arrêté du 8 janvier 1998) ;
• Ils permettent d’avoir un résultat plus rapide. En effet, la méthode de culture cellulaire utilisée pour le dénombrement des entérovirus est longue et coûteuse.
   
• Quel est l’état d’avancement du projet ?

Les données sont en cours d’exploitation et les conclusions seront disponibles dans les prochaines semaines.

Sources

[1] https://www.anses.fr/fr/system/files/MFSC2020SA0069.pdf
[2] Arrêté du 8 janvier 1998 fixant les prescriptions techniques applicables aux épandages de boues sur les sols agricoles pris en application du décret n° 97-1133 du 8 décembre 1997 relatif à l'épandage des boues issues du traitement des eaux usées
[3] Arrêté du 2 août 2010 relatif à l'utilisation d'eaux issues du traitement d'épuration des eaux résiduaires urbaines pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts
[4] https://www.anses.fr/fr/system/files/SABA2020SA0037-1.pdf
[5] https://www.anses.fr/fr/system/files/MFSC2020SA0043.pdf